Un courtier en travaux est-il tenu à la garantie décennale ?

Un courtier en travaux est-il tenu à la garantie décennale ?

par Jean Billemont

En tant qu’intermédiaire d’un projet immobilier, on peut se demander si le courtier en travaux rejoint la catégorie juridique des constructeurs, induisant ainsi une obligation d’assurance. Voici des éléments de réponse que vous propose Jean Billemont, avocat en droit de la construction à Lille.

 

Le métier de courtier en travaux en quelques mots

Le courtier en travaux met en relation les propriétaires souhaitant entreprendre des travaux immobiliers et les entreprises susceptibles de les réaliser. Il s’agit donc d’une activité d’intermédiaire. Aussi peut-on légitimement se demander si ce métier relève de la catégorie juridique des constructeurs, tenus en tant que tels aux différentes responsabilités prévues aux articles 1792 et suivants du Code civil, et sur qui pèse une obligation d’assurance pénalement sanctionnée.

Dans le secteur de la construction, le courtage en travaux est une activité d’apparition assez récente et aujourd’hui en pleine expansion.

La Fédération française du courtage en travaux (FFCT) constituée en 2008 estime qu’il existe environ 600 courtiers en exercice en France.

Les travaux de rénovation ou d’extension entrepris par les particuliers sont leur domaine privilégié, mais ils peuvent aussi prêter leur concours à la réalisation de locaux professionnels. Le courtier en travaux est un « facilitateur » qui met en relation le maître d’ouvrage qui désire entreprendre des travaux et les entreprises à même de les réaliser. Après s’être informé des besoins de son client, le courtier se rapproche d’entreprises et artisans partenaires pour leur demander d’établir des devis qu’il présente ensuite au client. Charge à ce dernier de contracter ensuite avec la ou les entreprises de son choix. Le courtier se rémunère alors par un pourcentage du marché finalement conclu.

 

Un secteur de la construction extrêmement réglementé

Le courtier en travaux intervient dans un secteur attractif mais très strictement réglementé. Pour protéger le maître d’ouvrage, la loi prévoit que tout constructeur d’un ouvrage est tenu à la responsabilité décennale, ce qui lui impose de prendre en charge toutes les conséquences financières en cas de désordre apparaissant dans les dix ans suivant la réception des travaux et compromettant la solidité de l’ouvrage ou portant atteinte à sa destination [1], même sans faute de sa part. Toujours dans un but de protection, la loi impose au constructeur de souscrire, avant le début des travaux, une assurance couvrant sa responsabilité décennale, sous peine de sanctions pénales [2].

Simple intermédiaire, le courtier n’est pas un constructeur. Il n’est donc pas concerné par cet arsenal juridique… en principe.

C’est que la notion juridique de constructeur ratisse large, et ne se limite pas à l’entreprise de BTP comme on l’entend au sens commun. Sont réputés constructeurs, les architectes, entrepreneurs, techniciens ou toute « autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage [3] », mais aussi « toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire [4] », et encore « toute personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage [5] ». Sont ainsi concernés, outre les entrepreneurs et les architectes, les bureaux d’études, les coordinateurs de travaux, les promoteurs immobiliers ou encore les contrôleurs techniques… Le courtier en travaux doit-il venir allonger la liste ?

 

Une question de périmètre ?

De prime abord, c’est la nature juridique du contrat qu’il conclut avec le maître d’ouvrage qui caractérise le constructeur. La loi vise les locateurs d’ouvrage – autrement dit ceux qui sont titulaires d’un contrat d’entreprise -mais aussi les vendeurs- et les mandataires.

Or la nature juridique du contrat de courtage est controversée : certains penchent pour le mandat, d’autres pour le contrat d’entreprise. Dans les deux cas, le courtier paraît bien se rattacher à l’une des catégories visées par la loi. Cela suffit-il à en faire un constructeur ? Pas si vite ! On considère généralement qu’au-delà de la nature du contrat conclu avec le maître d’ouvrage, le constructeur est celui qui intervient directement à l’acte de construire, en réalisant des prestations matérielles, comme l’entrepreneur, ou intellectuelles, comme l’architecte ou le bureau d’études. Il ne suffit donc pas d’intervenir à un stade ou à un autre de l’opération de construction pour être un constructeur. C’est pour cela, par exemple, qu’un coordonnateur SPS (Sécurité et Protection de la Santé) n’est pas réputé constructeur, car s’il est présent sur le chantier, sa mission ne le conduit pas à participer directement à l’acte de construire. On peut dire la même chose du courtier en travaux : son cœur de métier, qui consiste à rapprocher propriétaires et constructeurs, ne le conduit pas à intervenir directement dans le processus de réalisation de l’ouvrage.
A première vue, le courtier en travaux n’est donc pas un constructeur.

Mais la frontière qui sépare les constructeurs de ceux qui n’en sont pas est poreuse. Certains intervenants, qui ne sont pas des constructeurs par nature, peuvent le devenir à l’occasion. On pense notamment aux maîtres d’ouvrage délégués (MOD), ou aux assistants du maître d’ouvrage (AMO). En principe, ils interviennent pour aider le maître d’ouvrage à exercer ses prérogatives (c’est l’AMO), ou pour les exercer à sa place (tel le MOD) : définir le projet, l’enveloppe budgétaire, signer les marchés, assurer le suivi administratif et financier du chantier, notamment en payant les situations de travaux, ou encore réceptionner l’ouvrage. Aux côtés ou à la place du maître d’ouvrage, l’AMO ou le MOD ne sont donc pas des constructeurs : ils sont au contraire les interlocuteurs des constructeurs. Et pourtant, il est fréquent de les voir condamnés, parmi les constructeurs. Les tribunaux s’appuient sur le fondement de la responsabilité décennale, constatant qu’en plus de leurs attributions naturelles, ils ont participé, par exemple, au contrôle de l’exécution des travaux ou à la coordination des différents corps de métier devant intervenir sur le chantier [6], missions habituellement dévolues au maître d’œuvre et qui entraînent la qualification de constructeur.

Des risques similaires pèsent sur le courtier en travaux. Intermédiaire dans la conclusion d’un contrat entre le maître d’ouvrage et le constructeur, il peut être tenté de s’assurer de la qualité des prestations fournies par son entremise. Quoi de plus naturel, après tout, que de vouloir assurer le service après-vente ? Il arrive ainsi qu’un courtier intervienne dans la direction de l’exécution des travaux, en exerçant la coordination des entreprises, en établissant un planning des travaux, ou encore en dirigeant les réunions de chantier et en rédigeant les comptes-rendus de ces réunions. En amont, le courtier peut aussi intervenir activement dans l’établissement du devis, de manière informelle voire en rédigeant un cahier des charges. Il peut encore s’assurer de la cohérence ou de la pertinence des différents devis obtenus. Autant de tâches qui s’apparentent à de la maîtrise d’œuvre au moins partielle et qui, ensemble ou séparément, peuvent aboutir à la qualification de constructeur.

Le risque de requalification existe, même si le courtier est intervenu à titre gracieux sans en avoir reçu mission par écrit, les tribunaux ayant tendance à s’intéresser aux tâches effectivement accomplies sur le chantier, sans s’arrêter aux termes du contrat.

On le voit, l’appartenance du courtier en travaux à la catégorie des constructeurs ne s’impose pas d’emblée.
En pratique, il est souvent difficile au courtier, soucieux de fournir le meilleur service à ses clients, de ne pas prendre des initiatives qui peuvent le mener tout droit à la qualification de constructeur.
Dans ce contexte, la souscription d’une assurance de responsabilité décennale est une mesure de précaution qui ne peut qu’être recommandée.. Elle s’impose, en tous cas, à qui veut les coudées franches pour exercer son métier de courtier, sans avoir à s’inquiéter en permanence de tomber sous le coup d’une qualification assortie de sanctions pénales…

[1] Code civil, article 1792
[2] Code des assurances, article L.243-3. Les sanctions peuvent aller jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende, ce montant étant porté à 375.000 euros lorsque l’auteur de l’infraction est une personne morale
[3] Code civil, article 1792-1, 1°
[4] Code civil, article 1792-1, 2°
[5] Code civil, article 1792-1, 3°
[6] Pour un MOD reconnu constructeur : Cass. 3e civ., 21 octobre 2009, n°08-17.395 ; Cass. 3e civ., 10 octobre 2012, n°11-17.627. Pour un AMO : CA Rennes, 27 mai 2010, RG n°07/06539. A contrario, pour un AMO dont la qualité de constructeur n’a pas été reconnue, dès lors que ses missions se limitaient au montage de l’opération, à la définition de l’ouvrage à réaliser et des études y afférentes, ainsi qu’au suivi technique, administratif et financier des travaux : CA Rennes, 22 novembre 2011, RG n°10/01071

Photo Pedro Miranda – Unsplash

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