Les surprises de la norme AFNOR NF P 03-001

éclairages norme AFNOR NF P 03-001

par Jean Billemont

En tant que professionnel de la construction, vous connaissez très certainement la norme AFNOR NF P 03-001. Si l’on sait ce que c’est, on ne sait pourtant pas toujours bien ce qu’il y a dedans. Petit tour d’horizon des surprises qu’elle réserve.

 

Norme AFNOR et marchés privés

Si pour les marchés publics, la conclusion et l’exécution sont strictement encadrés par le Code de la commande publique, pour les marchés privés on parle de ‘liberté contractuelle‘. Ainsi les parties sont libres de se choisir et de définir ensemble le contenu de leur contrat sans même qu’aucun écrit ne soit exigé [1]. Il n’est pas si rare de rencontrer des marchés conclus de façon purement verbale, ou après transmission d’un simple devis non expressément accepté par le client. Ce n’est pourtant pas à recommander.

Que faire en cas d’imprévu, de retard de chantier, de défaillance d’une entreprise ? Quelle attitude adopter face à un refus de paiement de la part du maître d’ouvrage ? Et les travaux supplémentaires, facturables ou pas ? La construction immobilière est une entreprise pleine d’aléas.
Téméraire est celui qui s’y lance sans un minimum de précautions ! La prudence consisterait à rédiger un contrat envisageant tous les cas de figure possibles, pour en fixer la solution à l’avance, mais à moins de disposer d’une boule de cristal, le risque est de n’avoir pas tout prévu.

La tentation est grande, alors, d’adopter un contrat-type établi à l’avance. La norme Afnor NF P 03-001 est le plus connu de ces instruments préétablis. De quoi s’agit-il ?

Comme son titre officiel l’indique, la norme Afnor NF P 03-001est un « Cahier des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés ». A la différence du CCAG Travaux applicable aux marchés publics, qui est adopté par arrêté ministériel librement accessible sur Légifrance, la norme est une œuvre privée. Elle est diffusée par l’Association française de normalisation, moyennant paiement. Point commun avec le CCAG Travaux en revanche, elle n’est applicable qu’aux marchés qui s’y réfèrent. La norme n’est pas une loi, mais un instrument offert à la liberté des parties, qui en font ce qu’elles veulent. Elles peuvent l’accepter en bloc, n’adopter que certaines de ses dispositions, ou encore prévoir des modifications ou des aménagements. Voilà qui, déjà, peut réserver son lot de surprises.

De plus, une fois adoptée, la norme s’impose aux parties : la liberté contractuelle fait alors place à la force obligatoire du contrat. Pas moyen de prétendre n’avoir pas eu connaissance d’une des dispositions de la norme pour s’affranchir de son effet contraignant. On le voit, une référence mal maîtrisée à la norme comporte donc également un risque, tout aussi grave que le risque de n’avoir rien prévu : celui de se voir imposer des règles et des solutions qu’on n’avait pas clairement anticipées.

 

 

Adoption de la norme AFNOR : de nombreux points de vigilance

Redisons-le, la norme n’est pas une loi. Son application résulte de l’exercice de la liberté contractuelle. En clair, il faut que les parties l’adoptent dans leur contrat. 

Pour adopter la norme, la règle est simple : il faut, mais il suffit d’y faire référence dans le contrat. Pas besoin d’en faire plus. Il n’est pas nécessaire, par exemple, que la norme soit signée des parties, ni même qu’elle leur soit remise [3]. Impossible donc de se soustraire à son application en prétendant qu’on n’en a pas reçu un exemplaire… Prudence donc, surtout si l’on rappelle que la norme n’est pas en accès libre sur Internet.

Plus complexe est la question de la portée de l’adoption de la norme. Qu’adopte-t-on, au juste, quand on vise la norme ? Et pour commencer, quelle version de la norme retenir ? Depuis sa première édition en 1942, l’Afnor procède régulièrement à des révisions plus ou moins poussées. Les parties peuvent décider d’appliquer une version déterminée et doivent alors l’indiquer explicitement. Dans le cas contraire, la logique voudrait que l’on retienne la version en vigueur au jour de la conclusion du contrat [4]. Là encore, la vigilance est donc de mise.

Autre difficulté : comment la combiner avec d’autres dispositions contractuelles éventuellement contraires ? Rappelons que les parties sont libres de l’adopter en bloc ou de déroger aux dispositions qui ne leur plairaient pas. Le risque vient ici d’une incohérence qui aurait échappé aux parties.
Que faire, par exemple, lorsqu’un document contractuel vise la norme, mais qu’un autre indique que seules les conditions générales de l’entreprise s’appliqueront au contrat ? Le plus sûr est de prévoir un ordre de préséance parmi les différentes pièces contractuelles, afin qu’en cas de contradiction, la plus élevée dans la hiérarchie prévale sur l’autre [5]. La norme comporte elle-même des dispositions sur ce point, le principe étant que les pièces particulières [6] l’emportent sur les pièces générales [7].

En sa version de 2017, la norme ajoute que pour être opposables, les modifications qui lui sont apportées doivent être récapitulées « dans le dernier article du CCAP, ou à défaut, dans un document particulier du marché [8] ». Que faut-il en penser ? D’un côté, la règle est bienvenue, en ce qu’elle impose aux parties d’expliciter les dérogations qu’elles souhaitent apporter à la norme, et les oblige ainsi à faire preuve de clarté dans la combinaison des différents documents contractuels. D’un autre côté, on peut se demander si elle ne conduit pas à écorner le principe suivant lequel les pièces particulières prévalent sur les pièces générales. Prenons l’exemple d’une contradiction entre le CCAP et la norme sur le délai de notification d’un décompte. Si on veut faire prévaloir la pièce particulière sur la pièce générale qu’est la norme, on ne peut plus se contenter de faire état du rang supérieur de la pièce particulière. Il faut encore avoir indiqué, dans le CCAP, qu’il dérogeait sur ce point à la disposition correspondante de la norme. Voilà en tous cas qui ne manquera pas de surprendre ceux qui n’auront pas mesuré toute la portée du nouveau principe.

On ne se lance pas dans un long voyage sans avoir étudié la carte au préalable.
Pour chaque opération, une analyse préalable des dispositions contractuelles applicables à chaque étape de la vie du contrat devrait désormais être de mise [9]. La même prudence est de rigueur au moment où, après s’être interrogé sur son adoption, on envisage l’application de la norme.

 

Une rigueur également de mise dans l’application de la norme AFNOR

Si l’étude de l’adoption de la norme conduit à la distinguer d’une loi, l’examen de l’application de la norme amène au contraire à l’en rapprocher. La norme n’est pas une loi, mais elle lui emprunte ses effets. Une fois adoptée par les parties, elle s’applique à leurs relations avec la même force obligatoire.
Tout comme la loi, les différentes règles énoncées par la norme se ramènent au schéma logique suivant : « Si… tel évènement survient, alors… les conséquences seront impérativement les suivantes ». Lorsque l’évènement visé se produit, la solution prévue s’impose, non seulement aux parties, mais aussi au juge ou à l’arbitre saisi d’un litige.

La rigueur de ce mécanisme d’application se retrouve à chaque étape de l’opération de construction décrite par la norme. Sans reprendre ici l’intégralité d’un document de 70 pages, tirons-en trois exemples significatifs.

Exemple relatif au déroulement du chantier.

Il concerne le délai de réalisation des travaux. Il montre une fois de plus que la prévisibilité offerte par la norme ne profite qu’à ceux qui la maîtrisent parfaitement. On sait qu’en droit commun, si rien n’a été convenu sur ce point, les travaux doivent être exécutés dans un délai raisonnable, apprécié par le juge en cas de litige [10]. Le dépassement du délai raisonnable est sanctionné par l’indemnisation du préjudice causé au maître d’ouvrage et, si le retard est jugé suffisamment grave, par la résiliation du contrat.

La norme offre un système bien plus prévisible, donc plus efficace, mais encore faut-il se conformer strictement au dispositif prévu. Le délai de réalisation des travaux confiés à chaque corps d’état est fixé par le maître d’ouvrage dans le calendrier général [11] et à l’intérieur de ce délai, l’entreprise peut préciser les différentes étapes de son intervention dans un calendrier d’exécution [12].
Le point de départ du délai ainsi déterminé est fixé au lendemain de la notification à l’entrepreneur de la conclusion du marché [13], la notification devant être faite par le maître d’ouvrage par courrier recommandé [14], avec copie au maître d’œuvre [15]. Sauf cause légitime de suspension du délai [16], tout retard entraîne l’application de pénalités journalières, à condition qu’il y ait eu mise en demeure au préalable [17].
Tout manquement au strict formalisme imposé par la norme pour le jeu des pénalités de retard doit conduire à l’absence d’exigibilité des sommes réclamées à l’entrepreneur à ce titre [18]. Par où l’on voit que la rigueur est une arme à double tranchant

Exemple lié au dénouement du chantier.

Il concerne cette fois les dispositions relatives à l’établissement du décompte général et définitif. En l’absence de toute prévision contractuelle, l’établissement d’un compte entre des parties en désaccord suppose de saisir le juge, lequel, en pratique, ordonnera d’abord une expertise pour l’éclairer sur les aspects techniques du litige [19]. Ici encore, la norme offre un système plus efficace que le droit commun, car bien plus rapide. Les articles 19.5 et 19.6, prévoient que le projet de décompte final est établi par l’entrepreneur dans les quarante-cinq jours de la réception, puis adressé au maître d’œuvre pour vérification. De ce projet de décompte final, le maître d’œuvre tire un projet de décompte général qu’il remet au maître d’ouvrage, lequel dispose de trente jours, à compter de cette remise, pour le valider et le notifier à l’entrepreneur. À défaut, le projet de décompte final transmis par l’entrepreneur devient définitif, donc incontestable. À son tour, l’entrepreneur a trente jours, après notification du décompte général, pour le contester, faute de quoi la sanction est la même : intangibilité du décompte. Le bénéfice de ces délais-couperet, très efficaces, est toutefois réservé à ceux qui se sont strictement conformés à la procédure définie par la norme.
Malheur à l’étourdi, car alors le couperet se retourne contre lui. C’est ainsi que la notification du décompte général par le maître d’œuvre n’est pas valable, la norme réservant la notification au maître d’ouvrage. Conséquence ? Le projet de décompte de l’entrepreneur devient définitif [20].

Autre exemple des dangers de la procédure d’établissement du DGD. La faculté offerte à l’entrepreneur de contester le décompte général notifié par le maître d’ouvrage. Les observations de pure forme sont insuffisantes, et si une réclamation argumentée et étayée n’est pas présentée dans les trente jours de la notification du décompte général, on l’aura deviné : il devient définitif [21].

Décidément, les pièges recelés par l’application de la norme sont nombreux. La sécurité juridique passe par une parfaite connaissance de ses dispositions.

 

Exemple lié aux modalités de règlement des litiges pouvant survenir à tout moment de l’opération

Terminons ce petit aperçu de la question de l’application de la norme, en évoquant les modalités de règlement des litiges. Ici, contrairement aux deux exemples précédents, la norme ne brille pas par excès de rigueur. Elle paraît même se départir de la force obligatoire habituellement reconnue à la loi et aux contrats. Jusqu’à la réforme d’octobre 2017, il était seulement prévu qu’en cas de litige, les parties devaient se consulter pour examiner l’opportunité de recourir à l’arbitrage. Bref, du « droit mou ».

Sans surprise, la jurisprudence a retenu que sur ce point, la norme n’avait aucun effet contraignant [22]. Dans la nouvelle version, le ton est un peu plus ferme. La norme prévoit désormais que « Les différends relatifs à la validité́, à l’interprétation, l’exécution, l’inexécution ou la résiliation du marché, seront soumis, préalablement à toute action en justice, à une médiation ou conciliation. ». Cette nouvelle disposition entraînera-t-elle l’irrecevabilité de l’action en justice, au cas où celle-ci n’aurait pas été précédée d’une tentative de conciliation [23] ? On peut se poser la question.

Un certain courant jurisprudentiel limite l’effet contraignant des clauses de conciliation à celles qui précisent les modalités de désignation du conciliateur [24], point sur lequel la norme reste silencieuse. Aux parties prévoyantes, et désireuses de recourir à un mode alternatif de règlement des litiges, on conseillera donc de modifier l’article 21.2 de la norme, soit pour le compléter, soit pour prévoir un recours obligatoire à l’arbitrage.

Que retenir de cette norme Afnor NF P 03-001 ? Le moins que l’on puisse dire est qu’elle offrira bien des surprises à l’utilisateur peu averti. Son adoption comme son application peuvent se solder par des solutions bien différentes de ce qu’on avait pu imaginer au moment de conclure le contrat.
Plus qu’un simple instrument destiné à compléter les blancs du contrat de construction, il s’agit aussi d’une feuille de route, d’un vademecum du comportement des parties, tout au long des différentes étapes de l’opération.

Seule une lecture document par document, article par article, faite par un œil exercé, permet d’anticiper les difficultés et de déjouer les pièges. Les meilleurs contract managers le savent bien : pas de saine gestion contractuelle, sans au préalable un solide audit contractuel.

[1] Le contrat de louage d’ouvrage, ou contrat d’entreprise en termes plus actuels, est la catégorie juridique dont relève le marché privé de travaux. Or le contrat d’entreprise est un contrat consensuel, c’est-à-dire qu’un document écrit et signé des parties n’est pas nécessaire à sa validité ; cette formalité n’est utile qu’à la preuve du contenu du contrat (cf. A. Caston, F.-X. Ajaccio, M. Cabouche, L. de Gabrielli, M. Huet : Traité des marchés privés de travaux, éd. Le Moniteur, 6e éd., 2016, p.183).
[2] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 29 sept. 2015, n°14-22.661.
[3] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 16 juin 2009, n°08-16.738.
[4] Ni la norme de 2017, ni celle de 2000 ne comportent de précisions sur cette question de la version applicable.
[5] Règle logiquement retenue par la jurisprudence qui écarte la norme en cas de conflit avec une pièce de rang supérieur, et qui redonne vigueur à la norme dans le silence des pièces supérieures (Cour de cassation, 3e ch. Civile, n°11-28.193). En un mot, la norme a valeur supplétive par rapport aux autres documents contractuels hiérarchiquement supérieurs.
[6] Dans l’ordre décroissant de priorité : l’offre acceptée (autrement dénommée acte d’engagement) et ses annexes éventuelles, le CCAP, le CCTP, les diagnostics obligatoires, le calendrier des travaux et enfin le bordereau de prix.
[7] Toujours dans l’ordre décroissant : le CCAG, autrement dit la norme elle-même, et les clauses techniques générales, c’est-à-dire les DTU.
[8] Norme NF P 03-001, version octobre 2017, art. 1er.
[9] Telle est d’ailleurs l’opinion de la doctrine spécialisée. V. A. Caston, F.-X. Ajaccio, M. Cabouche, L. de Gabrielli, M. Huet : Traité des marchés privés de travaux, ouvrage précité, p. 205.
[10] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 16 mars 2011, n°010-14.051, Bull. Civ. III, n°35 ; Cour de cassation, 3e ch. Civile, 10 février 2009, n°07-21.656, et les autres arrêts cités par A. Caston, F.-X. Ajaccio, M. Cabouche, L. de Gabrielli, M. Huet : Traité des marchés privés de travaux, ouvrage précité, p. 482.
[11] Norme NF P 03-001, version octobre 2017, art. 3.7.
[12] Ibid., art. 3.6.  –  [13] Ibid., art. 10.1.  –  [14] Ibid., art. 6.3.2.  [15] Ibid., art. 6.3.1.  –  [16] Ibid., art. 10.3.  –  [17] Ibid., art. 9.5.
[18] V. par ex, en cas de défaut d’envoi de la mise en demeure prévue à l’article 9.5 de la norme : Cour de cassation, 3e ch. Civile, 1er décembre 2009, n°08-20.161 (arrêt rendu en application de la version de la norme de décembre 2000, comportant sur ce point des dispositions identiques à la version actuelle).
[19] De ce point de vue, le recours à l’arbitrage est un premier facteur d’efficacité, les parties ayant la possibilité de choisir un ou des arbitres ayant les connaissances techniques leur permettant de régler directement le litige sans avoir à recours aux lumières d’un expert.
[20] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 5 octobre 1994, n°92-18.941 (solution rendue sous l’empire d’une ancienne version de la norme, mais transposable).[21] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 4 décembre 1991, n°90-13.335, Bull. Civ. III, n°303 (solution rendue sous l’empire d’une ancienne version de la norme mais transposable).
[22] Cour de cassation, 3e ch. Civile, 29 janvier 2014, n°13-10.833.
[23] Telle est la sanction attachée à la méconnaissance de la clause de conciliation ou de médiation préalable obligatoire : Cour de cassation, ch. Mixte, 14 février 2003, n°00-19.423 et 00-19.424, Bull. Ch. Mixte n°1.
[24] Cour de cassation, ch. Commerciale, 29 avril 2014, n°12-27.004, Bull. Civ. IV, n°76.

Photo Michele Bitetto – Unsplash

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